Maud Louvrier Clerc a une vie engagée. Après avoir travaillé dans des institutions financières, participé à la création de fonds d’investissement dans l’économie verte et solidaire, un comité scientifique "climate change”, une école en psychologie entrepreneuriale et un collectif de designers éco-responsables, la très solaire Maud est aujourd'hui artiste en développement durable. La plasticienne nous reçoit dans son appartement-atelier en lisière du Bois de Vincennes.
Temps de lecture : 8min
Dès l’enfance, j’ai commencé à me questionner sur notre rapport à l’environnement et au vivant à travers la pratique de la poésie. Mes grands-parents maternels tenaient une maison-atelier de confection textile où j’aimais donner un coup main et mes grand-parents paternels avaient des forêts dans le Jura, dont je prenais soin avec eux. Mes vacances se partageaient ainsi entre entreprise et nature. Au lycée, dans les années 90, j’étais passionnée de plongée sous-marine et d’économie. Les documentaires de Cousteau comme de Nicolas Hulot et le Sommet de la Terre de 1992 à Rio m’ont énormément impactée. J’assistais à des cours d’histoire de l’art en parallèle et j’ai eu cette intuition de lier la nature, l’art et l’économie. J’ai ensuite travaillé dans le secteur du développement durable. La science est fondamentale car elle apporte des éléments de réponse ; l’économie l’est tout autant car elle façonne le monde. Je suis artiste car je me pose des questions, ne comprenant pas le système actuel. L’art me permet d’approfondir mes réflexions, de m’ouvrir des horizons. C’est pourquoi j’adore travailler avec des scientifiques ou des entreprises. Nous sommes complémentaires dans le changement civilisationnel en cours.
Je cherche à partager mon questionnement : comment réconcilier l’ancien et le moderne, l’économie avec la beauté et la fragilité des écosystèmes à travers une émotion esthétique. La biodiversité est si précieuse. Cette année je travaille sur l’impact des nanoparticules de plastique au sein des océans et réalise aujourd’hui des sculptures à partir de déchets plastiques recyclés. L’art qui naît pour moi d’une attention particulière de notre environnement permet une mise en mouvement spirituel. L’art est aussi un moyen de toucher le cœur des gens et c’est mon parti pris, car notre respiration nous connecte au vivant.
« L’art est un moyen de toucher le cœur des gens et c’est mon parti pris »
Dans la nature rien ne se perd, tout se transforme. L’économie circulaire, par exemple, s’inspire des principes du vivant. Si notre économie entière devenait circulaire cela résoudrait une bonne partie du problème, mais le principal frein est que cela coûte plus cher. Par exemple, quand des semelles de chaussures sont abîmées, il est souvent plus coûteux de les faire réparer que d’en acheter une nouvelle paire. Mais le cuir ou le daim est encore beau même s’il est un peu abîmé alors pourquoi le jeter ? Cela met en lumière le rapport que nous avons à l’esthétisme et au jetable au cœur de nombre de nos préoccupations actuelles. Il est nécessaire de rééduquer notre regard et de redonner de la valeur aux choses, même anciennes. D’un autre côté, la revalorisation du « fait avec amour à côté de chez vous » est décisive. Si mes tasses artisanales en porcelaine fabriquées à Limoges sont plus chères que des tasses réalisées en grande série pour une grande enseigne à l’autre bout du monde, c’est aussi pour cela que j’en prends soin et connaître leur histoire leur confère une réelle valeur.
Ma rencontre en 2006 avec Nicholas Stern m’a beaucoup marquée. Il évaluait dans son rapport les impacts économiques négatifs du changement climatique. La conclusion constituait un argument fort en direction des politiques : le coût de l’inaction était incomparablement supérieur au coût de l’action préventive. À l’époque, le message était révolutionnaire car il changeait la façon de parler du changement climatique ! Mettre de la valeur sur les services rendus à l’humanité par la nature, comme combien nous coûterait la disparition des abeilles, permet d’éveiller les consciences. L’art le permet aussi comme la contemplation d’un arbre… Tout est lié : l’économie, l’art et la nature. C’est cette manière de travailler en rhizome qui me passionne.
Absolument ! Dans le sens où l’utopie, c’est être convaincu que l’on contribue à l’évolution du monde. L’évolution s’opère toujours entre résilience et innovation. Je considère la joie comme un moteur de transformation. Si les collapsologues dressent des constats sur l’état alarmant de l’environnement, c’est l’utopie qui me permet de regarder l’après et de ne pas m’effondrer. Certes on ne va pas assez vite, mais l’énergie positive que l’on transmet est fondamentale. Je travaille depuis 2014 sur la viralité positive avec JEMONDE qui est une exploration poétique de l’Anthropocène ; lorsque j’ai fait ma résidence en 2012 à l’Institut des Futurs Souhaitables, nous parlions d’ailleurs de conspiration positive. Nous avons besoin de conspirer positivement tout en étant tout-à-fait lucides sur le fait que nous sommes un tout petit morceau de l’équation.
J’ai choisi de vivre en sobriété heureuse depuis cinq ans, en réduisant ma surconsommation textile par exemple. Je tente de ne plus acheter de vêtements neufs sur un coup de tête, j’ai ainsi tout simplement arrêté de faire du shopping. Si l’un de mes pantalons est troué, je le répare. Avant d’acheter quelque chose, je me pose systématiquement la question : en ai-je vraiment besoin ? Récemment, j’ai retourné un manteau défraîchi. Il était comme neuf ! Concernant les autres gestes du quotidien, quand je pars de chez moi, je prends un thermos dans mon sac et je me déplace en vélo ou en transports en commun. Je fais aussi attention à mon empreinte énergétique : je ne surchauffe pas mon appartement en hiver, je préfère mettre plusieurs pulls ou m’envelopper dans un plaid.
Sur le plan artistique, je réfléchis en amont à mon éco-conception, c’est-à-dire à la manière de réutiliser mes chutes pour créer de nouvelles œuvres comme en témoignent mes séries de collage «Exploration Carronds 2009 » ou «Un dans le groupe ». Sachant que certains déchets peuvent devenir des outils, j’ai ainsi créé mes séries de dessins «Carronds 2014, 2015, 2016, 2017 » et « Anneaux sacrés Carronds 2018 » à partir de mes chutes de coupe de la série de gravures « LVMH experience Carronds 2014 ». J’utilise également des déchets trouvés dans la rue. Cela a été le cas des fauteuils et l’échelle pour mon installation au lycée Paul Langevin.
Côté design, si je dois faire appel à un artisan d’art, je privilégie le savoir-faire français pour produire mes œuvres, car cela permet de créer de l’emploi et au niveau environnemental, je privilégie des matières premières locales et renouvelables comme du bois issu de forêts françaises gérées en éco-label.
Vivre en produisant moins de déchets. J’aimerai aussi apprendre à davantage cuisiner de manière végétarienne, aujourd’hui je m’efforce de réduire ma consommation de viande et je privilégie la volaille dont l’empreinte écologique est moindre que la viande bovine.
Sur la partie artistique, je réfléchis encore et toujours au less is more. J’adore le courant du minimalisme et le principe d’innovation frugale me passionne depuis de longues années, mais sa mise en pratique reste un défi.
Sur la partie design, c’est l’appréhension du prix de fabrication par le grand public. Lorsque je fabrique des produits de manière éco-responsable, de manière artisanale et Made in France le prix est forcément plus élevé !
« Le principe d’innovation frugale me passionne depuis de longues années, mais sa mise en pratique reste un défi »
Que la transformation des comportements doit s’opérer dans la solitude. Selon moi, un accompagnement de proximité est au contraire déterminant. Apprendre les bonnes pratiques en famille ou en groupe est fondamental. Je pense que l’on sous-estime l’importance de la transmission par l’exemple, par les gestes. La convivialité est un outil précieux !
Je questionne les pratiques ou les provenances des produits et partage mon expérience, mais j’évite d’être dans le jugement ou les conseils car je me suis rendue compte que cela était tout à fait improductif et que je suis moi-même très imparfaite. L’exemplarité me semble une approche positive qui produit des effets à long terme.
Commencer par ce qui semble facile, sur des transformations légères dont les impacts sont visibles comme par exemple s’acheter un thermos de très bonne qualité qui permet de pouvoir boire un bon thé chaud en hiver ou une eau fraîche citronnée en été. Se rendre compte que l’on a économisé 5 à 10 euros par jour en bouteilles plastiques ou cannettes aluminium, c’est tout de suite gratifiant. C’est comme prendre son vélo et rouler le long des quais les cheveux au vent au lieu d’être coincée dans une voiture bloquée dans les embouteillages. C’est concret et fun.
Le suremballage plastique.
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