“Sans le bien le beau n’est rien”: c’est le mantra de Courbet, maison de joaillerie installée place Vendôme. Nous sommes parties à la rencontre de son dynamique co-fondateur, Manuel Mallen. A la fois expert et visionnaire, pragmatique et fantaisiste, cet homme de contraste dynamite le secteur de la haute joaillerie avec une jeune marque qui a tout d’une grande maison. En guerre contre les préjugés et les mythes associés à ces pierres iconiques, il nous démontre que oui, les diamants sont bien éternels...même produits en laboratoire!
Temps de lecture : 10 min
J’ai eu mon déclic il y a six ans ; j’étais alors à la tête d’une maison de joaillerie. L’un de mes artisans m’a parlé de l’un de ses collègues spécialisé dans la création de diamant en laboratoire. D’abord dubitatif, j’ai finalement accepté de l’accompagner à Anvers pour rencontrer ce diamantaire. J’ai eu un véritable choc en découvrant les diamants qu’il produisait dans son laboratoire : ils étaient en tous points identiques aux diamants de mine avec lesquels j’avais l’habitude de travailler ! Au retour, mon artisan m’a confié qu’il était persuadé que ces diamants d’un nouveau genre étaient l’avenir de la joaillerie. J’ai gardé cela dans un coin de ma tête.
Fin 2016, je n’étais plus en accord avec la stratégie de Poiray et suis parti, je cherchais des investisseurs pour racheter une marque. J’ai alors pris conseil auprès de mon mentor Alain Dominique Perrin (fondateur de Richemont, NDLR). Plutôt que de racheter une marque il m’a conseillé de créer la mienne.
Le défi était de taille ; lorsque l’on crée sa marque dans ce milieu centenaire, on ne bénéficie pas de la notoriété d’une maison bien établie et il est difficile d’attirer les investisseurs. C’est le moment où Marie-Ann Wachtmeister m’a rejoint dans cette aventure. Elle avait dessiné une bague interchangeable pour Poiray et nous étions restés proches. Elle m’a contacté quand elle a entendu parler de mon projet. Avant qu’elle me rejoigne, j’avais l’idée du bien, mais je n’avais pas le commencement du beau. Avec elle, je savais que l’on avait le beau ! Nous avions réuni ces deux éléments fondamentaux et notre marque est née en mai 2018.
Cela a beaucoup surpris, d’autant plus que le milieu est un peu trop traditionnel ! Les actualités sont rares. Proposer quelque chose de différent suscitait l’intérêt des médias. J’ai la chance de connaître les grandes maisons et leurs secrets, mais je ne voulais pas stigmatiser ces grandes maisons. Je souhaitais plutôt proposer une alternative éco-responsable.
Remettre les modes de production ancestraux en question est fondamental, car c’est de notre avenir que l’on parle. L’extraction des pierres précieuses diminue : en 2050, nous n’extrairons que 10% de ce que nous extrayons aujourd’hui alors même que la demande ne cesse d’augmenter. Imaginez donc : en Chine, il y a 12 millions de mariages par an et tout autant de bagues de fiançailles. Nous avons besoin d’une alternative !
D’autre part, les jeunes générations demandent de plus en plus aux marques de prendre leurs responsabilités. J’ai le sentiment que les jeunes générations sont de plus en plus militantes car le temps qu’elles ont pour résoudre le problème s’amenuise très vite. J’ai deux filles de quinze et vingt-cinq ans. Celle de vingt-cinq ans est engagée mais celle de quinze ans est militante ! Chaque nouvelle génération s’implique encore plus que la précédente tandis qu’à leur âge, j’étais si insouciant… Elles sont tout sauf cela. Si j’ai le malheur de mettre le plastique dans la mauvaise poubelle, je me fais réprimander dans la seconde ! Tant mieux pour la planète et pour notre projet.
Le diamant est une pierre composée de carbone à 100%. Il y a des millions d’années, le carbone s’est retrouvé piégé sous le magma terrestre. Emprisonné sous haute pression et sous haute température, il s’est cristallisé en quelques heures pour devenir un diamant brut. Il a ensuite fallu des millions d’années supplémentaires pour que ces diamants remontent à la surface de la terre et soient extraits par l’homme.
En laboratoire, c’est exactement le même procédé : les atomes de carbone sont soumis aux mêmes conditions de pression et de température. Ils vont à leur tour se cristalliser et former un diamant brut. Le processus peut prendre de plusieurs heures à plusieurs mois selon la taille du diamant souhaitée. Lorsque nous produisons ces diamants, nous le faisons avec la même marge d’erreur que la nature ; autrement dit, nous ne maîtrisons pas la qualité du diamant obtenu.
Les lobbies et la loi nous imposent à tort le terme de “diamant de synthèse”. Il est crucial de le réviser ! C’est un terme trompeur qui donne l’impression que les diamants ne sont pas “vrais”. Ce sont les mêmes composants, le même processus… J’ai l’habitude d’employer une métaphore un peu choquante pour mes détracteurs ; un bébé éprouvette ne serait donc pas un “vrai” bébé ?! Dans les deux cas, le procédé est différent mais le résultat est tout ce qu’il y a de plus vrai. D’ailleurs, les instituts de gemmologie les certifient aujourd’hui de la même manière.
Dans le secteur du diamant, nous classifions les pierres selon les 4C : cut, color, clarity, carat. Pour donner un exemple concret, intéressons-nous à la couleur. Les couleurs des diamants sont classées par lettre, la plus belle étant D -pour Diamant. Pour donner un indicateur, la moyenne des couleurs de diamants proposés place Vendôme est G. Courbet n’utilise que des diamants classifiés D, E ou F. Je ne pense pas avoir besoin d’en dire plus !
Il faut savoir que cela nécessite beaucoup d’énergie. Pour limiter notre impact énergétique, nous utilisons donc l’énergie la plus propre. Et quand bien même nous les produirions avec une énergie “sale”, cela consommerait jusqu’à 10 000 fois moins d’énergie qu’un diamant de mine. Mais nous avons à cœur de ne sélectionner que des énergies propres pour aller au bout de notre concept : hydroélectrique, solaire… Cette énergie est produite en Russie ou aux Etats-Unis. Les USA produisent beaucoup d’énergie solaire et notre manufacture Russe est adossée à une centrale hydroélectrique.
Les plus gros trous sur la terre sont créés par les mines de diamant. En Russie, il existe même une ville adossée à une mine qui fait deux kilomètres de diamètre et un kilomètre de profondeur (Mine de Mir, NDLR). Le trou est tellement profond que cela crée une dépression et provoque des accidents d’hélicoptère ! Pour trouver un diamant de 1 carat (0,2 grammes), on va jusqu’à extraire 250 tonnes de minerai. C’est le poids de trois avions. Quand on retire la terre, on étale les débris restants, ce qui abîme considérablement l’environnement qui jouxte la mine. Ces mines sont comme une maladie de peau de la terre. Sans même parler des conditions humaines dans lesquelles les diamants sont extraits.
Le marché des diamants de mine est un véritable oligopole. Il n’est maîtrisé que par sept compagnies dans le monde. Il y a entre 10 et 14 intermédiaires entre la mine et le bijou. En revanche, le diamant de laboratoire compte aujourd’hui une vingtaine de producteurs dans le monde. Tous indépendants, ils échappent au contrôle de cet oligopole. Lorsque j’achète mes diamants de laboratoire, je n’ai qu’un ou deux interlocuteurs. Comme tous les produits bio, ces diamants sont plus chers à produire. Mais nous les vendons 30% à 40% moins cher car nous avons moins d’intermédiaires.
Les diamants de laboratoire menacent les mythes habituellement associés aux diamants. “Le diamant est rare” : c’est faux ! Nous avons extrait 150 millions de carats des mines en 2020, contre 4 millions en laboratoire. La rareté est plutôt chez nous. “Le diamant de mine prend de la valeur avec les années”. Encore faux ! Le diamant n’est tellement pas rare qu’à part le fait de posséder une pierre exceptionnelle, il perdra de sa valeur.
Parfaitement, nous appliquons ces alternatives écologiques à de nombreux produits et matériaux de notre marque.
La production de l’or est une catastrophe écologique. Nous sommes donc allés chercher du côté des mines urbaines, c’est-à-dire les mines dédiées à la récupération des matériaux présents dans les téléphones portables ou les ordinateurs. Nous avons aimé l’idée car cela représente bien notre attrait pour la technologie. C’est cette technologie qui nous permet aujourd’hui de créer du diamant en laboratoire, de recycler l’or… Et cela termine dans les mains d’un artisan dont le savoir-faire est centenaire! Nous aimons beaucoup le contraste.
Nos écrins sont également recyclés. Nous ne voulions pas faire de compromis sur l’esthétique et la qualité, notre mantra étant “sans le bien, le beau n’est rien”. Nous sommes cependant conscients que l’esthétique joue un rôle prépondérant; on peut s’intéresser à une marque pour ses valeurs, mais on achète un bijou car il est beau. L’écrin devait donc être à la hauteur de nos créations. Après quelques difficultés, nous avons rencontré Virginie Wiertz, fondatrice de La Cabane Bleue, qui récupère les chutes de cuir, les agrège et les teint. Le cuir est ensuite travaillé en origami pour ne pas utiliser de colle.
Enfin, nous étudions sans cesse des solutions qui ont un impact positif sur la terre et les hommes. Les marques ont pour habitude d’organiser des opérations caritatives. Souvent, ces opérations sont très limitées dans le temps, ne bénéficient qu’à une seule association et ne s’appliquent pas aux best sellers des marques. Nous avons voulu changer cela via notre collection Let’s Commit. Nous avons choisi notre best seller, le bracelet cordon ; nous avons ensuite sélectionné douze associations, six pour la nature et six pour les hommes. Toute l’année et pour l’achat d’un bracelet, c’est le client qui choisit à quelle association il souhaite reverser 15% du prix de vente. Le cordon du bracelet est composé de polyester recyclé mais nous souhaitons aller plus loin en récupérant les filets de pêche laissés à l’abandon dans l’océan. J’ai contacté EcoAlf, une marque de vêtements espagnole qui travaille ce type de matériau. Nous sommes encore en train de parfaire le rendu final.
Nous aimons la technologie et nous sommes très curieux ! Au showroom, tout le mobilier est issu de la récupération, nos bureaux viennent de chez TipToe, nos chaises sont en plastique recyclé, notre configurateur 3D a été inventé par Hapticmedia, une entreprise strasbourgeoise… Nous tenons à la notion d’excellence, c’est pour cela que nous sélectionnons nos partenaires et fournisseurs sur des critères de savoir-faire et de durabilité.
Nous sommes également très fiers d’annoncer que nous allons produire des diamants en France, une première dans l’histoire du diamant de laboratoire ! Nous nous sommes associés à Alix Gicquel, chercheuse au CNRS et fondatrice de Diam Concept. Une partie de la levée de fond que nous avons effectuée lors de l’épidémie de Covid-19 sera investie dans cette entreprise et les diamants seront produits dans le sud-ouest de la France vers 2022.
Les diamants symbolisent des moments de vie. Nous avons donc des liens forts, émotionnels avec nos clients que nous suivons sur plusieurs années. Dans deux ans, nous allons proposer aux clients de rapporter leurs bijoux s’ils ne leur conviennent plus. Nous repartirons de cette création pour réinventer un bijou qui leur plaît de nouveau. Ces clients ne s’acquitteront que du prix relatif au travail des pierres, et non aux pierres elles-mêmes. Durable de bout en bout !
Oui bien sûr ! Si le luxe n’est pas responsable, qui d’autre donne l’exemple ? Il y a du chemin à faire mais à leur décharge, les maisons doivent souvent affronter le fait que les français voient souvent le verre à moitié vide. Les maisons de luxe œuvrent pour la planète et les hommes mais n’en parlent pas de peur de se faire épingler sur ce qui n’est pas éco-responsable. On a tendance à stigmatiser ce qui n’est pas fait plutôt qu’à valoriser ce qui l’est.
« On a tendance à stigmatiser ce qui n’est pas fait plutôt qu’à valoriser ce qui l’est »
Malheureusement oui ; l’éco-responsabilité est à la fois la genèse et la raison d’être de Courbet et nous appliquons des alternatives écologiques à tout ce que nous achetons ou produisons. Aujourd’hui encore, nous devons nous justifier au même titre que les autres sur cet aspect alors que c’est notre ADN et que cela nous demande beaucoup d’énergie et d’investissements. Nous avons par exemple obtenu le label Positive Luxury ; malgré cela, on nous remet en question car nous n’appliquons pas le processus de Kimberley (processus selon lequel les états doivent mettre en place un système effectif de contrôles à l’exportation et à l’importation, afin d’empêcher que des diamants de la guerre ne circulent, NDLR) à nos diamants alors même que nous ne sommes tout simplement pas concernés par ce processus ! Nous faisons face à beaucoup de suspicion car nous faisons voler en éclats des règles établies depuis des siècles.
Que le beau ne peut s’accorder au bien. Par exemple, les sneakers que je porte sont conçues par une marque Néo-Zélandaise, AllBirds. Et j’en suis ravi ! Elles aussi belles que confortables. Les démarches écologiques sont parfois là où on ne les attend pas. Je cherchais à m’associer avec une marque de vêtements à la fois haut de gamme et responsable. Contre toute attente, j’ai découvert une marque chinoise, Icicle, qui est écologique depuis 1997. Haut de gamme, chinois, écologique… Ces mots pourraient paraître antinomiques et pourtant ! La preuve que les idées reçues sont encore trop nombreuses.
La logistique. Nous commercialisons des produits coûteux et certains aspects ne peuvent être traités différemment. C’est le cas du transport qui reste effectué par avion.
Crédits photos : Courbet, Julie Desvaux
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