Il est impressionnant de constater à quel point détermination et passion peuvent faire passer une idée de l’ombre à la lumière. En trois ans, Anaïs Dautais Warmel a dépoussiéré l’image de la mode éthique. Pièces intemporelles, coupes rigoureusement modernes et coloris subtils, les pièces upcyclées des Récupérables n’ont rien à envier aux maisons les plus pointues. Rencontre avec l'instigatrice d’un véritable tour de force.
Temps de lecture : 5 min
Mon projet a commencé à germer il y a cinq ans et ma marque il y a trois ans. Lorsqu’on m’interrogeait à l’époque, je constatais le manque d’intérêt général pour ce type de projets. J’avais pour but que la niche devienne la norme mais le changement a mis un certain temps à s’opérer.
Nous avons finalement tapé du pied avec des acteurs majeurs du marché comme Veja ou Patagonia pour nous faire entendre. La création de ma marque coïncide également avec la Fashion Revolution qui nous a permis d’accroître notre visibilité dans les médias. C’est par la suite que beaucoup de projets se sont montés sur le secteur de la mode éthique, ce qui est une bonne chose. Je vois cela d’un bon œil car je voulais avant tout montrer qu’un tel projet était possible.
On parle aujourd’hui beaucoup de mode éthique, parfois à tort. C’est surtout le cas des marques de fast fashion qui valorisent le faible pourcentage éthique de leur production. Cela m’indigne profondément et me donne envie d’informer. Nous avons le devoir de nous battre contre ces discours qui brouillent les pistes. C’est notamment dans cette optique que nous travaillons avec des acteurs engagés comme We Dress Fair.
Cela a toujours été une évidence d’inclure l’aspect social dans notre modèle. En revanche, plus nous gagnons en notoriété, plus il est difficile de garantir le 100% insertion. Nous avons par exemple dû arrêter de travailler avec un atelier à Marseille qui n’était techniquement pas adapté pour une telle montée en charge.
Cela a été une décision difficile à prendre mais nous compensons par notre production 100% Made in France. Ce choix a un impact social fort, notamment sur la création d’emplois. Il est d’autant plus justifié lorsqu’on observe le malaise social grandissant en France.
Nous venons également de nous lancer avec un centre pénitencier masculin à Val de Reuil. Cela me fait très plaisir de voir qu’un projet aussi féminin et mode est si bien perçu par cette population. La production prend plus de temps car ces ouvriers ne sont pas formés mais ce délai est largement compensé par les compétences qu’ils acquerront.
Malheureusement et comme beaucoup d’autres petits acteurs, pas assez. Il est très compliqué de monter son projet dans ce secteur, notamment à cause de la pénurie d’ateliers causée par le mouvement de délocalisation massif dans les années 90. Certains de ces ateliers se remontent progressivement, en tous cas c’est ce que l’on entend dans les médias. J’attends d’en avoir la certitude avant de m’en réjouir.
Oui mais le projet a été ralenti à cause du Covid. Nous faisons 60% de nos ventes en boutique avant la crise sanitaire, mais la tendance est en train de s’inverser. Nous nous sommes adaptés pour nous concentrer au maximum sur le e-store.
J’ai été éduquée dans une logique d’écologie économe. Certes dans la contrainte mais cela m’a beaucoup appris, et cette logique reste encore aujourd’hui le fondement de ma démarche.
En ce moment, je suis surtout dans l’indignation. Je suis sidérée du manque de considération du gouvernement pour tous les combats que regroupe le mouvement écologique. Je suis outrée par la gestion de la crise écologique dans le pays, alors même que le secteur est pourvoyeur d’emploi. Pourquoi en freiner les progrès ?!
Je suis rassurée par l’optimisme de la jeune génération actuelle. Ma génération était plus défaitiste, comme désenchantée. Peut-être qu’aujourd’hui, l’urgence saute tellement aux yeux qu’il y a moins d’hésitation à s’engager. Le féminisme et l’écologie sont enfin devenus les grands combats de notre siècle.
Mon engagement se fait bien sûr avant tout par ma marque. Ensuite, c’est un ensemble de petites choses à respecter chaque jour. Ne pas prendre sa voiture pour se déplacer en vacances ou en ville, faire ses courses dans des enseignes responsables -ce qui ne coûte pas forcément plus cher, n’en déplaise aux idées reçues ! Je ne me fais pas d’illusions ; citadine, je reste dans une démarche de consommation. Je ne cherche pas à donner de leçons, ces choix sont très personnels mais il faut simplement être conscient d’où l’on place son propre intérêt et surtout se renseigner. On peut par exemple s’abonner aux newsletters de One Heart, qui médiatise aussi de bonnes nouvelles. Et on en a bien besoin !
Agir, c’est se mettre soi-même à contribution dans une démarche positive.
Que c’est moche et vieillot ! Même si cela a bien évolué depuis les cinq dernières années. Je ne me targue pas d’être la brigade du bon goût mais cela reste un préjugé tenace.
La rentabilité toute puissante. L’idée selon laquelle on ne peut exister si l’on est pas rentable. Le système du capital n’est pas vertueux et ne permet pas aux gens de s’épanouir ni de préserver la planète. Et quand bien même Les Récupérables se bat contre ce système, nous sommes dans l’obligation d’y participer. C’est absurde. Il est vital de faire évoluer les paradigmes de fond, sinon nous continuerons à nous heurter à une barrière constante.
« Il est vital de faire évoluer les paradigmes de fond »
J’aimerais en faire beaucoup plus! Je suis déjà engagée dans Fashion Revolution à travers ma marque mais je manque de temps pour m’engager davantage. La semaine je travaille et le weekend, j’essaie de déconnecter un peu. Je fais du vélo, danse sur les tables et vais marcher dans les manifestations… C’est un programme déjà bien rempli !
J’ai lu Simone de Beauvoir mais cela reste nouveau pour moi. Je suis convaincue que c’est bien d’en parler mais tant que l’on a pas lu les œuvres majeures, les discours de posture ne sont jamais bien loin… J’essaie prioritairement de m’alimenter en contenus et textes fondateurs pour enrichir mon discours. Cette éducation se fait tout au long de la vie, il n’est jamais trop tard.
La bêtise, la mollesse et le défaitisme. Il faut tout de même reconnaître que la situation a beaucoup évolué. Aujourd’hui, même les grandes marques tiennent des discours engagés, c’est encourageant de constater qu’il y a eu une relative prise de conscience !
On doit donner le temps aux gens de faire leur propre transition et ne rien leur imposer, sinon on tombe dans la dictature.
Malheureusement, il serait possible de faire des changements radicaux rapidement mais bien sûr, ça n’arrange pas le système. Il y a un réel problème au cœur des administrations et de la justice. Le “on verra plus tard” est institutionnalisé. Il ne faut jamais oublier que 10% de la population détient 90% du capital. Le rapport entre écologie et économie est si fort alors même que c’est une question de survie ! J’ai conscience que mon discours peut être perçu comme politisé, mais j’ai davantage l’impression de me radicaliser dans l’ouverture de la pensée.
Crédits photos : Lucie Assiat, Julien Hay, Cocoegia (coup de cœur We Dress Fair), Julie Desvaux.
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