C’est en 2009 que le concept de limites planétaires est né, fruit des travaux d’une équipe internationale de chercheurs au sein du Stockholm Resilience Center. Ces 9 frontières sont autant de seuils liés à des processus biophysiques qui assurent l’équilibre de l’environnement. Franchir ces limites, c’est détruire notre écosystème et les conditions jusqu’alors favorables pour le développement de l’humanité. Franchir ces limites, interdépendantes, c’est aussi provoquer des transformations brutales aux conséquences imprévisibles. Malgré les signaux d’alarme de ces chercheurs, comme tant d’autres, les 5e et 6e limites planétaires ont été dépassées cette année.
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Changement climatique, érosion de la biodiversité, perturbations globales du cycle de l’azote et du phosphore, modification d’utilisation des sols, introduction de nouvelles substances et cycle de l’eau douce : ces 6 limites planétaires ont d’ores et déjà été dépassées. 3 restent sous le seuil d’alerte : l’acidification des océans, la dégradation de la couche d’ozone et l’augmentation des aérosols dans l’atmosphère. Avant de faire le point sur chacune d’entre elles, un autre indicateur souligne l’urgence de l’action : le jour du dépassement.
La nouvelle a fait le tour des médias : depuis le 5 mai dernier, l’empreinte écologique de la France est plus forte que la capacité de l’environnement à compenser l’activité humaine sur son territoire — c’est le jour du dépassement. Calculé à l’échelle mondiale par l’ONG Global Footprint Network, cet indicateur évalue le déficit écologique pour chaque région du globe, et met en perspective notre empreinte environnementale par rapport à la biocapacité de la planète.
WWF explique : le jour du dépassement est « le jour à partir duquel nous avons pêché plus de poissons, abattu plus d’arbres, construit et cultivé sur plus de terres que ce que la nature peut nous procurer au cours d’une année. Cela marque également le moment où nos émissions de gaz à effet de serre par la combustion d’énergies fossiles auront été plus importantes que ce que nos océans et nos forêts peuvent absorber. » Un déficit qui ne cessera de se creuser sur les 7 mois restants de l’année, rien qu’en France.
D’autres pays ont déjà atteint leur jour de dépassement, comme l’indique cette carte mondiale (en rouge les débiteurs, en vert les créditeurs) :
À noter : cette dataviz est issue du site de Global Footprint Network, qui met aussi à disposition tout un ensemble de données pour sensibiliser, informer et agir.
En 2022, toujours d’après Global Footprint Netwoork, les dix premiers pays à avoir atteint leur jour de dépassement sont le Qatar, le Luxembourg, le Canada, les Émirats arabes unis, les États-Unis, l’Australie, la Belgique, le Danemark, la Finlande et la République de Corée.
En 13 ans d’existence, le concept de limites planétaires s’est affiné et précisé dans le temps. Après la publication des premières conclusions en 2009, les chercheurs actualisent leurs travaux en 2015 pour redéfinir les contours de 6 des 9 limites et avancer sur la quantification (c’est-à-dire la méthode de calcul, la collecte et l’analyse des données) de 7 d’entre elles. En janvier 2022, l’introduction de nouvelles substances (la pollution chimique) est quantifiée, et le seuil clairement dépassé — comme nous l’indique cette infographie partagée par Kate Raworth, auteure du Donught model, dont nous reparlerons plus tard.
En mars 2022, nouvelle alerte : le cycle de l’eau douce entre en zone rouge. C’est donc la 6e limite à être franchie.
En interlude, pour comprendre ces images :
Le changement climatique est mesuré à partir de la concentration atmosphérique, qui doit être inférieure à 350 ppm (parties par million) alors qu’elle est de 412 ppm, ou du forçage radiatif à +1,0 W/m2 (watt par mètre carré) alors qu’il est de +3,18 W/m2. Le ministère de la Transition écologique explique : « L’augmentation de la concentration atmosphérique de GES par les émissions anthropiques accroît l’émission d’énergie vers le sol, entraînant un déséquilibre du bilan énergétique de la Terre et provoquant l’élévation de sa température en surface. La modification par rapport à une année de référence de la radiation induite par un élément est appelée forçage radiatif. Un forçage radiatif positif indique une contribution positive au réchauffement climatique. »
Cette limite planétaire était déjà en zone d’incertitude en 2009.
>> Les causes : la production et la consommation d’énergie et de carburant, l’agriculture intensive, la déforestation et la production industrielle.
> Les conséquences : hausse des températures, hausse du niveau de la mer, incendies, sécheresses, recrudescence de maladies, catastrophes naturelles ou encore disparition d’espèces endémiques.
L’érosion de la biodiversité est évaluée à partir de deux critères :
– La diversité fonctionnelle de la biosphère, liée à la résilience des écosystèmes en réponse à des perturbations exogènes (c’est-à-dire extérieures à ces écosystèmes). Si ce critère n’a pas été quantifié à l’échelle mondiale, des études menées dans certaines régions comme l’Afrique australe montrent que ce seuil a été dépassé (défini à 90% minimum, il est de 84% dans cette zone du globe) ;
– la diversité génétique, calculée à partir du taux d’extinction des espèces, végétales ou animales, par an (E/MEA). La limite fixée par les chercheurs et de 10 E/MEA. Elle est effectivement de 100–1 000 E/MEA.
Cette limite était elle aussi dépassée en 2009, lors de la publication des travaux des chercheurs du Stockholm Resilience Center.
>> Les causes : surexploitation de la biodiversité, modification des habitats, pollutions, espèces exotiques envahissantes et changements climatiques.
>> Les conséquences : vulnérabilité des écosystèmes, risques sanitaires, appauvrissement de la qualité de l’air, de l’eau et des aliments.
La perturbation des cycles biogéochimiques est liée à l’entrée du phosphore dans l’eau douce et les océans (limitée à 11 téragrammes par an au niveau mondial, alors qu’elle est de 22 Tg/an), ainsi qu’à la fixation biologique industrielle et intentionnelle de l’azote (limitée à 62 Tg/an, alors qu’elle est de 150–180 Tg/an). Ce dernier indicateur était lui aussi dépassé en 2009, le premier lors de la mise à jour de l’étude en 2015.
>> Les causes : agriculture intensive, rejets domestiques, rejets industriels.
>> Les conséquences : explosion du développement de certains végétaux aquatiques (comme les algues en bord de mer), entraînant une dégradation des milieux (disparition d’espèces végétales et animales notamment).
La modification de l’utilisation des sols fixe une limite de 75% de surface boisée préservée sur la totalité des forêts dans le monde. En 2015, seulement 62% des terres auparavant forestières l’étaient encore, dépassant ainsi cette limite planétaire.
>> Les causes : l’urbanisation, l’expansion agricole, la construction d’infrastructures et les activités minières.
>> Les conséquences : menaces sur la biodiversité, fragilisation des sols, réchauffement climatique.
Le cycle de l’eau douce, non quantifiée jusqu’alors et concentrée sur l’analyse de l’eau bleue, a fait l’objet de nouvelles recherches pour ajouter récemment l’eau verte (en avril dernier très précisément) à cette limite planétaire. La différence entre les deux ? Le média BonPote nous l’explique de façon limpide :
Ce que constatent les chercheurs lors de cette dernière étude : si la consommation d’eau douce reste en zone de sûreté à surveiller (4000 km3 d’eau/an, nous en sommes actuellement à 2600 m3), les taux de précipitation, d’humidité des sols et d’évaporation prélevés révèlent que 18% des sols de la planète sont déséquilibrés — alors que le seuil est fixé à 10%. Cette limite planétaire est la 6e à avoir été franchie, il y a quelques jours à peine.
>> Les causes : l’agriculture intensive, la déforestation, l’érosion des sols et les changements climatiques.
>> Les conséquences : raréfaction de l’eau, désertification et aridification des sols, montée des eaux.
La diminution de la couche d’ozone stratosphérique doit être inférieure de 5% dans la concentration en ozone, par rapport à son niveau préindustriel évalué à 300 unités Dobson (UD) — actuellement estimé à 208-285 D-UD. Cette limite planétaire reste donc en zone de sûreté. Des actions ont d’ailleurs été menées en ce sens, dès la fin des années 80, pour interdire l’usage de produits nocifs.
>> Les causes : les activités humaines émettrices de produits chimiques de synthèse — systèmes réfrigérants, bombes aérosol, solvants de nettoyage industriel ou traitements de sols agricoles.
>> Les conséquences : cancers de la peau, modification de la photosynthèse des plantes, déclin de certaines espèces (amphibiens notamment).
L’acidification des océans est évaluée à partir du niveau de saturation en aragonite dans les océans, fixé à 80% minimum. Il est aujourd’hui proche de ce seuil, à 84%, mais toujours dans la zone de sûreté. Ce minéral composé de carbonate de calcium devient soluble dans les océans au-delà d’une certaine acidité de l’eau, ce qui en fait un excellent indicateur pour cette limite planétaire. Notons que l’acidité de l’eau est due à l’absorption du CO2 présente dans l’atmosphère.
>> Les causes : augmentation du CO2 dans l’atmosphère.
>> Les conséquences : diminution de la croissance des organismes marins (mollusques, coraux, phytoplancton), impactant de fait l’ensemble des écosystèmes marins.
L’augmentation des aérosols dans l’atmosphère est une limite aujourd’hui non quantifiée, mais dépassée dans les régions où elle est étudiée. En Asie du Sud, l’épaisseur optique d’aérosols, aussi appelée taux d’opacité de l’atmosphère due aux aérosols, a été évaluée à 0,30 en 2015 alors que le seuil est fixé à 0,25.
>> Les causes : les particules fines présentes dans l’atmosphère peuvent être d’origine naturelle (activité volcanique notamment) ou liées à l’activité humaine (combustion, transports).
>> Les conséquences : risques sanitaires (augmentation des cancers), accélération du réchauffement climatique.
L’introduction d’entités nouvelles dans la biosphère, limite planétaire nommée « pollution chimique » avant la seconde publication de 2015, mesure la concentration de substances toxiques, de métaux lourds ou encore de composés radioactifs. Parmi les données qui ont fait exploser les compteurs et placer le curseur dans la zone à risques élevés :
>> Les causes : agriculture, production de matières premières notamment.
>> Les conséquences : risques sanitaires, érosion de la biodiversité, changement climatique.
Exercice délicat que de synthétiser en quelques milliers de mots les tenants et aboutissants de cette étude, limite planétaire après limite planétaire — les méthodes de calcul étant complexes, les enjeux forts et les répercussions méconnues. D’autant plus que ces 9 seuils sont liés entre eux :
Comment agir ? Des pistes ont été explorées par l’ADEME pour atteindre la neutralité carbone, qui ne prennent en compte qu’une partie des limites planétaires. Parmi ces 4 scenarios, certains paraissent d’ailleurs difficilement applicables au vu du constat du Stockholm Resilience Center. D’autres proposent des alternatives à nos modes de consommation, avec la méthode BISOU par exemple. En France, l’objectif “zéro artificialisation nette” est posé et fait l’objet de vifs débats entre les territoires et les citoyens.
Ce qui est certain : le dépassement de la 6e limite planétaire souligne l’urgence de l’action collective (individus, entreprises, États) à l’échelle mondiale pour renverser la tendance, dès aujourd’hui et pour demain.
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