Il est puissant, et pourtant, le Doughnut model est presque aussi discret que les travaux menés sur les 9 limites planétaires, qui l’ont largement inspiré. Puissant, car il pousse à voir le monde, l’économie et nos sociétés avec une grille de lecture radicalement différente. Puissant aussi, parce que le Doughnut model n’est pas une énième théorie intellectualisée et abstraite : c’est également un outil opérationnel pour tous, individus, collectifs, entreprises et politiques.
Voilà 10 ans que Kate Raworth a publié le fruit d’années de réflexion sur l’Économie, avec un grand E, qu’elle a étudié sous toutes ses coutures sur les bancs de l’école. Une discipline qu’elle quitte d’abord, convaincue que l’approche de l’économie est biaisée et partielle, pour y revenir plus tard et alimenter ses travaux. Car pour Kate Raworth, les grandes théories économiques sont dépassées. Dans un talk à TEDx Athènes, elle partage :
« A l’époque de la Grèce Antique, Xénophon invente le terme « économie » (…) pour désigner littéralement « l’administration de la maison », d’un seul foyer. Un concept qu’il généralise ensuite à la Ville-État (…). 2000 ans plus tard, en Écosse, Adam Smith pousse le concept encore plus loin, pour l’appliquer à l’État-Nation. (…) Aujourd’hui, l’économie est 300 fois plus importante que celle qu’Adam Smith a connu. Et ses impacts sont majeurs sur la biosphère et ses habitants — nous.
Si Xénophon et Adam Smith étaient ici, je pense qu’ils se moqueraient de nous. Ils nous diraient : « Vivez avec votre temps, les amis ! De l’administration de la maison à celle d’une ville, puis d’un État, nous nous sommes adaptés et nous avons changé notre vision. Vous devez passer à l’étape suivante ! La vôtre est l’ère de la maison planétaire, et vous devez faire en sorte que l’économie soit en phase avec cette réalité ! » Je crois que c’est la mission la plus stimulante pour la nouvelle génération d’économistes : quelle est la pensée économique à inventer pour notre maison planétaire ? »
Notons que nous avons librement adaptés les propos de Kate Raworth, de sa VO en anglais que vous pourrez visionner sur YouTube, à sa VF proposée ici. En substance, ce talk de 2014 nous invite à revoir notre lecture de l’économie : adieu PIB et croissance effrénée, pour un autre modèle, plus équilibré, qui pourrait bien être celui du Doughnut Economics.
Partageons sans détour l’illustration de ce Doughnut model, pour y voir plus clair :
Certains reconnaitront sans doute la représentation des 9 limites planétaires — et c’est en partie le cas, car on la retrouve dans le cercle extérieur. Ainsi, l’environnement est l’un des deux piliers du modèle de Kate Raworth, avec la justice sociale au centre. Entre ces deux piliers, apparait le fameux donut, qui désigne l’espace sûr et juste pour l’humanité, pour un développement économique inclusif et durable. Au-delà du plafond environnemental, l’équilibre de la biosphère est menacé, tout comme l’humanité. En deçà du plancher social, l’équilibre du bien-être humain et de la justice sociale est en péril.
Pour rappel, les 9 limites planétaires sont : le changement climatique, l’érosion de la biodiversité, la perturbation des cycles biogéochimiques, la modification de l’utilisation des sols, le cycle de l’eau douce, la diminution de la couche d’ozone, l’acidification des océans, l’augmentation des aérosols dans l’atmosphère et l’introduction d’entités nouvelles dans la biosphère.
Des limites enrichies de fondements sociaux — ces critères qui ont évolué dans le temps, dont voici l’essentiel : l’alimentation, la santé, l’éducation, le salaire et le travail, la paix et la justice, l’opinion politique, l’équité sociale, l’égalité des sexes, le logement, le bien-être, l’énergie et l’eau.
Comme pour les limites planétaires, cette représentation graphique n’est pas seulement une grille de lecture, mais aussi un outil d’évaluation avec une multitude d’indicateurs. Prenons l’exemple de ces trois pays, comparés par le Doughnut Economics Action Lab (DEAL) :
<blockquote class= »twitter-tweet »><p lang= »en » dir= »ltr »>Explore the interactive website here: <a href= »https://t.co/KVSKAkZMMT »>https://t.co/KVSKAkZMMT</a><br><br>Read the full paper here: <a href= »https://t.co/Gh7zNOCoQy »>https://t.co/Gh7zNOCoQy</a> <a href= »https://t.co/jGtvcME8kz »>pic.twitter.com/jGtvcME8kz</a></p>— Doughnut Economics Action Lab (DEAL) (@DoughnutEcon) <a href= »https://twitter.com/DoughnutEcon/status/1461365099428335626?ref_src=twsrc%5Etfw »>November 18, 2021</a></blockquote> <script async src= »https://platform.twitter.com/widgets.js » charset= »utf-8″></script>
Ce qu’on y voit, en un clin d’œil : des déséquilibres forts entre ces trois pays. À gauche, le Niger reste dans la zone de sûreté côté environnement, mais les injustices sociales sont considérables. Pour les États-Unis à droite, la différence est frappante : la grande majorité des limites planétaires sont dépassées, alors que les fondements sociaux sont globalement respectés à l’exception du critère « équité sociale ». Au milieu, la représentation de la situation chinoise est inquiétante, tant pour la biosphère que pour la justice sociale.
Notons que ces représentations se basent sur des données de 1992 à 2015. Il a donc fort à parier que ces déséquilibres soient davantage marqués en 2022.
Et en France ? La photographie est relativement proche de celle des États-Unis, avec deux fondements sociaux en dessous du plancher : l’emploi et le bien-être.
Vous pourrez d’ailleurs voyager dans le temps sur le site de l’Université de Leeds, et voir l’évolution de ces différents critères sur deux décennies.
Aujourd’hui, ce modèle est aussi appliqué à l’échelle des villes, comme à Middlesbrough en Grande-Bretagne. Même chose du côté d’Amsterdam, qui utilise cette méthode pour « faire prospérer [la] ville et ses habitants, tout en respectant le bien-être de chacun et la santé de la planète ». Car c’est tout l’objet des travaux de Kate Raworth, qui invite tout un chacun, entreprises et politiques, individus et collectifs, à s’emparer de ce nouveau mode de pensée pour alimenter leurs réflexions et décider au quotidien. C’est aussi en ce sens que le Doughnut Economics Action Lab mobilise acteurs économiques, consultants et ONG pour distiller ce nouveau regard sur l’économie.
On pourrait résumer cette philosophie par « apprendre à désapprendre », pour voir le monde avec des yeux neufs. Le Doughnut model repose sur 7 grands principes :
En définitive, que du bon sens dans ce Doughnut model, nous direz-vous ? Sans doute. Mais avec des indicateurs et des approches qui, combinés, pourraient bien changer la donne pour un monde plus juste à la fois pour l’humanité et l’environnement. Une belle promesse qui mérite qu’on s’y attarde, et pourquoi pas l’adapter, la faire grandir — ce à quoi s’attache l’équipe de Kate Raworth au sein du Doughnut Economics Action Lab. De quoi alimenter les réflexions quant à la planification écologique.
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