Le mot est posé : la décroissance. Longtemps, en préparant cet article, nous avons hésité à l’écrire tel quel. Et puis, parce qu’il faut “appeler un chat, un chat” et partager ici nos réflexions sans détour, nous avons opté pour ce mot si connoté. Car on y associe trop souvent une forme de lecture réfractaire de l’économie, du retour à l’âge de pierre à un anticapitalisme prononcé. Pour autant, ce ne sont pas nos propos. Les nôtres se nourrissent du constat : si nous (individuellement et collectivement) avons pu détourner nos yeux du sujet de la décroissance pour de tas de raisons, plus ou moins bonnes, le contexte économique, politique, écologique ne nous laisse plus vraiment le choix. Et plutôt que de subir, il est encore tant d’agir… et d’y réfléchir.
Posons le décor. L’économie n’est pas au beau fixe, même si la casse a été passablement limitée pendant les deux années de Covid que nous venons de traverser. Le contexte international est tendu, et souligne d’autant plus les déséquilibres dus aux dépendances aux matières premières, aux produits manufacturés et à l’énergie. Les enjeux environnementaux, longtemps perçus comme une contrainte ou une réalité éloignée, s’imposent d’eux-mêmes : canicule, sécheresse, pénurie de ressources, biodiversité affaiblie nous impactent de plus en plus fort. Le tableau paraît sombre, et son évolution dans le futur plus incertaine que jamais. Pour autant, nous ne sommes pas (encore) face au mur et il est temps de sortir des grands discours pour agir — enfin.
Avant d’aller plus loin, nous tenons à remercier Flavien Verret qui nous a soufflé l’idée de cet article, en nous partageant ses réflexions. Merci à toi !
Bien avant que la data science n’investisse le terrain des prédictions de tout poil, des chercheurs du Massachusetts Institute of Technology (MIT) ont modélisé en 1972 les limites de la croissance dans un rapport éponyme, “The Limits to Growth”. Aujourd’hui, on parle du rapport Meadows, co-écrit par Donella et Dennis et Meadows, inspirés par une petite vingtaine de scientifiques dont les noms sont moins connus.
Dans ce rapport, plusieurs scénarios sont envisagés, notamment celui-ci :
En gris, les données publiées en 1972, en traits pleins celles actualisées jusqu’à 2010, et en pointillés, les prévisions des chercheurs.
Ce que nous montre ce graphique :
Quid des modes de calcul ou du regard critique sur ces travaux ? Si les écrits de Meadows et de leur équipe sont validés par ceux qui les lisent, d’autres s’interrogent sur les fondements de ces scénarios. Pour autant, les conclusions restent globalement les mêmes : il va falloir regarder les choses en face et se réinventer — selon nous, de la façon la plus positive qui soit !
Évacuons de suite cette rengaine du “on vous l’avait bien dit”, qui n’apporte pas grand-chose au débat. Car tout l’enjeu est de trouver de nouveaux modèles pour composer avec ce que l’on a, et ce que l’on aura.
Ces nouveaux modèles, qu’on envisagera ici dans leur dimension économique, à l’échelle de l’entreprise, n’ont finalement rien de disruptif — de nombreuses voix se sont emparées du sujet depuis les fameux travaux des Meadows. L’essentiel, et le plus difficile sans doute, étant de changer de regard. Dans un extrait partagé en ligne du livre “Biodiversité”, Jacques Blondel écrit en 2020 :
“Qu’on le veuille ou non, nous sommes entrés dans des temps nouveaux, car la croissance telle que nous l’avons connue ne reviendra jamais comme avant, quand ce ne serait que parce que le coût d’extraction des ressources et le coût environnemental de cet extractivisme ne feront qu’augmenter au point de devenir impossibles à assumer. Sans compter que les dérèglements climatiques dont on n’a toujours pas vraiment pris la mesure des dangers qu’ils représentent ne feront qu’augmenter les coûts de production et l’insécurité des populations.”
Nous y sommes donc.
Parmi ceux qui subissent, et qui ont fait récemment la une des médias, il y a toutes ces usines à l’arrêt face à la hausse des coûts de l’énergie ou à des défauts d’approvisionnement. C’est le cas de l’emblématique Duralex dont les verres trônaient dans nos cantines, mais aussi de Volkswagen en Allemagne. Dans nos villes, les collectivités comme à Rennes ont mis en place des mesures (fermeture des piscines municipales notamment) et réfléchissent à des plans d’action sur le long terme.
Parmi ceux qui agissent, il y a Patagonia, qui s’est engagé pour l’environnement dès ses premiers pas en 1972 — une entreprise qui verse aujourd’hui tous ses dividendes à des actions de protection de l’environnement. D’autres se spécialisent dans la réparation d’électroménagers et d’équipements technologiques voués à finir à la déchetterie, pour les revendre comme neuf — c’est le cas du réseau Envie, qui œuvre aussi pour la réinsertion au travail, ou encore de Murfy.
Ce qui lie tous ces acteurs, entreprises et associations ? Construire de nouveaux modèles pérennes à tous les étages (social, économique, environnemental) pour sortir de ce qu’on désigne techniquement par le syndrome volumique (en d’autres termes, la surproduction et la surconsommation). Et apporter du sens.
Pour bon nombre d’entreprises qui n’ont pas encore pris le virage de la transition, l’enjeu sera de réfléchir à l’économie de la fonctionnalité, que l’ADEME définit par : “consommation sans propriété des biens, investissement stratégique dans les ressources immatérielles de l’entreprise (développement des compétences des salariés, management coopératif…), développement du réemploi et de la réparation des biens, revenus liés aux effets utiles, répartition équitable de la valeur entre les partenaires de l’offre, nouvelle gouvernance…”
En somme, une nouvelle ère s’annonce, qui doit mêler transition écologique, économique et solidaire. Pour reprendre les mots de Jacques Blondel : “Toute la question est de transformer ce défi qu’est la postcroissance en opportunités pour améliorer dès maintenant le niveau de vie et, surtout, réduire les inégalités.”
À nous de jouer !
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